
Les Enjeux
De quelles décisions parle-t-on ?
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Cette politique volontariste de réduction de l’emprise de la voiture dans la ville de Paris, portée haut et fort par Anne Hidalgo, maire de Paris, entend dans un premier temps rendre la ville aux piétons, développer des mobilités douces - c’est-à-dire moins polluantes, plus respectueuses de l’environnement - et permettre la diminution de la pollution atmosphérique dans Paris en y excluant l’automobile.
Réduire la pollution, renforcer l’attractivité touristique de Paris, créer une aire de récréation, les motivations d’Anne Hidalgo sont nombreuses et le projet peut faire rêver. Pourtant, cette décision ne fait pas l’unanimité, ni parmi les décideurs politiques ni parmi les usagers, qu’ils soient Parisiens, Franciliens, ou riverains des voies sur berges.
Les sphères du débat
Le débat se limitait au tout début à la sphère scientifique et politique. Les études et rapports commandés à des cabinets de conseil, des bureaux d’études comme Arcadis ou des institutions dites indépendantes, comme AirParif, BruitParif, pour pouvoir évaluer les potentielles conséquences - positives et négatives - d’une telle décision politique, étaient les principaux points d’accrochage entre les différents acteurs mobilisés sur le projet.
Ces rapports, nécessaires à tout projet urbanistique d’envergure, sont au coeur de la controverse.
Le rapport à la mesure des différents acteurs n’est pas stabilisé et est fluctuant. En effet, ils sont bien peu à s’appuyer sur les mêmes données, les mêmes mesures:
certains vont privilégier celles réalisées par AirParif - comme la Région Ile-de-France et le Comité Régional mis en place suite à la fermeture pour évaluer le projet - , quand d’autres vont se concentrer par les mesures réalisées par la Mairie. Mais si les aires d’études sont identiques, les jours de comptage pour la pollution atmosphérique ou le bruit diffèrent, ce qui amène les médias à parler de “guerre des chiffres”, et de fait à polariser encore plus le sujet autour de cette question.
A titre d’exemple, la Commission d'enquête publique sollicitée par la Mairie de Paris rend en août 2016 un avis consultatif défavorable à la piétonnisation des voies sur berges, faisant suite aux conclusions tirées de rapports effectués comme l’étude d’impact obligatoire pour la mise en place du projet. Etude d’impact sur laquelle la Mairie de Paris s’appuie pourtant pour prendre sa décision de fermeture le 1er septembre 2016.
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Au fur et à mesure le débat va pénétrer plus intensément la sphère médiatique et la sphère de la société civile, des citoyens et des associations.
Les médias jouent dans cette controverse un rôle très important de mise en forme du projet. C’est par ce moyen de communication que le débat va entrer dans la sphère de la société civile.
De très nombreuses associations, dont la voix ne commence à porter que récemment médiatiquement, avec la mise en perspective de nouvelles facettes du projet que nous évoquerons par la suite, sont mobilisées autour de ce projet. Que ce soit en faveur: Paris sans voiture, Mieux se déplacer à bicyclette, la Fondation du souffle par exemple, ou bien que ce soit en opposition, comme l’association 40 Millions d’automobilistes, la Fédération Patrimoine - Environnement ou encore la ligue de défense des conducteurs et l’association La vignette du respect.
En pénétrant la société civile, les arguments se démultiplient en fonction des personnes concernées et le projet devient de plus en plus multifacette.
En réalité, il n’y a pas un problème, celui d’une polarisation pour ou contre la fermeture des voies sur berges et leur piétonnisation, mais des problèmes sous-jacents.
Le rapport à la mesure est en effet fluctuant, le rapport aux médias des différents acteurs, notamment politiques, est aussi problématique. Ces derniers en profitent pour s’exprimer au travers de médias interposés et s’opposent sans nécessairement écouter, polarisant ainsi toujours plus un problème qui ne peut se résumer à cette opposition pour/contre. Le rapport à des arguments relevant parfois plus du subjectif que de l’objectif est aussi intéressant à étudier dans les différents discours des acteurs concernés.
En effet, il faut bien percevoir que si les médias parlent d’une “guerre des chiffres”, l’explication complète, détaillée et mise en perspective des chiffres n’est que très peu abordable compte tenu de sa complexité.
Et c’est cette complexité des données qui expliquent le repositionnement progressif des argumentaires autour d’arguments plus subjectifs, relevant de l’émotion et d’un rapport à la ville qui somme toute est très peu quantifiable, notamment celui des associations en faveur du projet - Respire, Paris en Selle, AirPublica et de nombreuses autres pour n’en citer que quelques-unes - et de la Mairie de Paris.
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Les décisions juridiques
Pour preuve que cette décision fait débat dans de nombreuses sphères, le 21 février 2018, le Tribunal Administratif de Paris, saisi par un conglomérat varié - allant de la région Ile-de-France à de simples usagers en passant par de nombreuses communes franciliennes et des associations - annule l’arrêté sur lequel a été pris la décision de piétonniser les voies sur berges rive droite.
Alors que les premières attaques en justice de septembre 2016 par Nathalie Kosciusko-Morizet et en novembre 2016 menée par l’association “Défense du site Notre-Dame et ses environs”, la “Fédération Patrimoine- Environnement” et onze particuliers, soutenus par l’association 40 millions d’automobilistes avaient été rejetées par le tribunal de Paris, deux ans plus tard, la décision s’est inversée.
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Pourquoi ce changement ?
Alors qu’en 2016, l’argument mis en avant était la possible réversibilité du projet, qui n’avait pas encore pu faire ses preuves, deux ans après, suite aux différentes études qui ont été faites et à l’évolution du projet, la décision a radicalement changé.
Inexactitudes, omissions et insuffisances cumulées dans l’étude d’impact sur laquelle était fondée la mise en place du projet, tels sont les maux relevés par le tribunal. Cette décision est un évènement majeur dans l’histoire des voies sur berges et relance le débat de l’usage qu’elles doivent avoir, après plus d’un an de fermeture. Cette décision, bien qu’ exécutoire, n’a pour l’instant pas entraîné la réouverture à la circulation des voies sur berges du fait de l’appel de la décision par la Mairie de Paris et du nouvel arrêté pris par cette dernière pour maintenir la piétonnisation des voies sur berges.
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Les problématiques soulevées par cette fermeture
La fermeture des voies sur berges à la circulation met en lumière toutes les tensions qui se posent au cours du processus de décision politique.
Si chaque prise de décision peut être l’objet de débats et de désaccords, la fermeture des voies sur berges représente un sujet controversé parce qu’elle touche aux problématiques des transports, de la pollution et surtout aux usages quotidiens.
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Les transports et la pollution atmosphérique
Les transports constituent un enjeu majeur pour les citadins à l’heure où les lieux de travail et de vie sont de plus en plus éloignés. À cela, ajoutons que les transports sont associés dans l’imaginaire collectif à une certaine forme de liberté. De fait, la restriction des déplacements automobiles au sein de l’agglomération parisienne est souvent perçue comme une attaque par les associations défendant les intérêts des automobilistes et les principaux concernés eux-mêmes .
La lutte contre la pollution atmosphérique se réfère directement aux problématiques de santé publique et de développement durable. La quantification de la pollution, mais aussi les solutions et échelles à mettre en oeuvre pour la réduire sont questionnées.
En effet, on observe ce que de nombreux journaux nomme une “guerre des chiffres”
Qu’à cela ne tienne, la pollution ne s’arrête pas aux frontières de Paris ! Il convient de se demander comment des politiques locales, telles que la fermeture des voies sur berges, peuvent répondre à un problème qui touche toute la région Île-de-France.
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Vivre la ville, autrement
Enfin, le but ambitieux derrière cette décision politique de fermer les voies sur berges aux voitures est de changer les habitudes de transports, les comportements des individus et réduire l’utilisation de la voiture sur le long terme, ce qui est fait un point de friction évident.
Piétonnisation, circulation alternée, journée sans voiture, réduction des places de parking, les initiatives pour bannir la voiture hors des grandes villes sont légion. Il n’est pas étonnant qu’Anne Hidalgo concentre ses efforts sur les nouveaux espaces et les nouvelles mobilités. Et tout ceci s’inscrit dans un cadre bien plus large que la simple fermeture de la rive droite en 2016.